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L'apprentissage "des choses de la mer..."

En 1980, j'ai découvert avec surprise qu'avec un peu de vent, et une coque équipée d'une voile, il était possible de se déplacer sur l'eau, et d'aller à peu près dans n'importe quelle direction... Ceci m’a littéralement fasciné.

 

Depuis, je n'ai eu de cesse de tenter de comprendre, d'essayer, d'expérimenter tout ce qu’il était possible de faire pour découvrir et apprendre les choses de la mer, ses joies, mais aussi ses contraintes, ses dangers, ses pièges. Cela représente pour moi un espace de liberté extraordinaire dans lequel il est possible de se plonger en utilisant exclusivement ce que la nature nous offre : la mer pour pouvoir aller où on le souhaite, le vent pour nous donner de l’énergie, et la terre pour se nourrir, se reposer et découvrir d’autres contrées.

 

J'ai donc commencé mon apprentissage par le tout début, avec un jeune couple de Fécamp, Jacques et Evelyne, qui m'ont initié sur un voilier en aluminium aménagé de leurs mains, un Trisbal 36... Commencer par un voilier de 11m pourrait sembler prétentieux, mais j'ai appris au moins une première chose essentielle à mes yeux : la mer... et le vent qui la forme parfois de manière impressionnante sont toujours plus forts que toi, même avec un grand bateau. Le vent et la mer t’obligent toujours à faire le dos rond. Vouloir avoir raison, c’est comme vouloir sauter d’une falaise en espérant voler...

 

Et puis, il me fallait me rendre à l'évidence : plus je progressais dans la connaissance de ce milieu nouveau pour moi, plus je mourais d'envie d'avoir moi aussi mon propre voilier, prolongement de mes rêves de voyages au large en utilisant le vent comme énergie, la mer comme route, et le bateau comme lieu de vie...

Alors avec Christiane, ma femme, et nos enfants, Eric et Nathalie, nous avons commencĆ© par apprendre avec un petit Brio, d'Ć  peine 7 m, donc de toute petite taille, celle de nos petites possibilitĆ©s financiĆØres... BaptisĆ© Chrismy, il Ć©tait habitable... enfin... presque... pour quelques semaines seulement... Nous l'avons testĆ© dans la rĆ©gion de Lorient.

 

Techniquement je disposais dā€™un moteur hors-bord, pas de chargeur de LA batterie de servitude, une ferrite pour la gonio, un sondeur, un compas de relĆØvement, un anĆ©mo, un loch, des crayons, une gomme et quelques cartes marines...

 

Jā€™avalais donc tous les bouquins, revues, articles, et autres publications comme la bible des GlĆ©nans, les manœuvres dā€™Eric Tabarly, tout ce qui pouvait mā€™apprendre un maximum de choses, sans oublier les incontournables Ā«SlocumĀ» et Ā«MoitessierĀ».

 

Un domaine de prĆ©dilection: les Ć©toiles et les astres. Se servir du ciel pour sā€™orienter, et se positionner me fascine. Jā€™apprenais donc la navigation astro, seul moyen Ć  mes yeux de sā€™en sortir oĆ¹ que lā€™on soit... Il faut dire quā€™Ć  lā€™Ć©poque, les GPS et autres merveilles techniques dā€™aujourdā€™hui nā€™existaient pas. Il fallait donc tout faire Ā«Ć  la mainĀ». Ma profession de pilote aĆ©rien mā€™a quand mĆŖme bien facilitĆ© les choses... dā€™autant plus quā€™en voilier, tout est beaucoup plus lent. On a donc le temps de rĆ©flĆ©chir... de recalculer... de douter des rĆ©sultats obtenus... de recommencer... de re-vĆ©rifier... On a surtout le temps de ne jamais prendre ses fortes impressions pour de rĆ©elles certitudes.

 

La deuxiĆØme annĆ©e, les enfants nā€™Ć©taient pas avec nous. Avec mon mousse-conjoint-second, nous nous sommes aventurĆ©s un peu plus loin, entre Lorient et La Rochelle, dans des coins totalement inconnus de moi... Pas si inconnus en fait car jā€™avais pu, Ć  lā€™occasion de deux missions en hĆ©licoptĆØre faire des repĆ©rages sur mon projet de lā€™Ć©tĆ© Ć  venir, sur les conseils avisĆ©s dā€™un gĆ©nĆ©ral, marin aussi Ć  ses heures, et qui connaissait bien la rĆ©gion Ć  la surface de lā€™eau. Je connaissais donc dĆ©jĆ  les endroits dangereux...

 

Christiane a appris Ć  stopper net le bateau en cas Ā«dā€™homme Ć  la merĀ»... Et puis avec de bonnes cartes marines, un bon compas de relĆØvement, une bonne paire de jumelles... de la jugeote.. et tout en restant toujours mĆ©fiant des apparences, je devrais mā€™en sortir en sĆ©curitĆ©...

 

Peu Ć  peu, au bout de deux ans, la mer nous entrait Ā«dans la tĆŖteĀ», avec ses contraintes, ses rigueurs, ses furies, confirmant son indiscutable puissance... et ses sanctions immĆ©diates aprĆØs les imprudences...

 

Conclusion : tu n'as pas droit Ć  l'erreur. Il faut tout prĆ©voir... y compris lā€™imprĆ©visible.En fait, plus nous allions loin vers le large, hors de vue des cĆ“tes, de jour comme de nuit, plus le bateau rĆ©trĆ©cissait Ć  vue d'oeil... Il nous fallait voir plus grand...

 

Notre choix se porta sur un Dufour 2800 d'occasion, que je dĆ©nichais au salon Ć  Paris. En fait ce nouveau bateau, devenu naturellement Ā«Chrismy IIĀ» Ć©tait aux Sables... Inspection sur place, expertise... Nous signons, et prenons la mer pour ramener le bateau Ć  Capbreton, avec Jean Sylvain et un copain Ć  lui. Pendant la nuit, la mer vient du nord, assez grosse. Bing ! Un mauvais coup de barre engendre un bel empannage brutal qui casse le pied de bĆ“me. Assis et attachĆ© au mĆ¢t, de nuit, avec la frontale, et une grosse mer de lā€™arriĆØre, jā€™ai rĆ©parĆ© le pied de bĆ“me avec scie Ć  mĆ©taux, perceuse Ć  main, et rivets pop...

 

Avec ce nouveau bateau, nous passĆ¢mes trois ans trĆØs sympas en famille, avec les enfants, pas toujours dā€™accord. Devenus ados, ils avaient leurs amis, mais pouvions-nous les laisser seuls ? Les amis du ponton Ā« L Ā» de Capbreton, l'Espagne Ć  portĆ©e de main, plus loin, la Galice et le Portugal... Notre bateau Ć©tait confortable et Ā« le mĆ©tier Ā» commenƧait Ć  bien rentrer. Au cours de ces grandes sorties, nous avons rencontrĆ© des gens non vaccinĆ©s contre ce virus de la mer et cela nous a permis de passer de bonnes journĆ©es et de belles soirĆ©es... nous contaminant mutuellement un peu plus.

Nous avons pu ainsi dĆ©couvrir la plus grande partie de la cĆ“te nord de lā€™Espagne, jusquā€™en Galice. La Galice elle-mĆŖme est magnifique... Nous avons pu pousser jusquā€™Ć  la frontiĆØre du Portugal, Ć  lā€™Ile CiĆØs plus prĆ©cisĆ©ment. Je nā€™ai pas voulu poursuivre plus au sud, de peur dā€™avoir du vent dans le nez en remontant au nord et ce, dans un coin pas trĆØs accueillant et plein dā€™embĆ»ches. La navigation se faisait entiĆØrement Ā«Ć  la mainĀ», et je nā€™avais rien dā€™autre que le chrono, le compas de relĆØvement et une radio-gonio Ā«ferriteĀ» qui mā€™a bien aidĆ© Ć  lā€™occasion dā€™un atterrissage Ć  la Corogne par une visibilitĆ© trĆØs trĆØs rĆ©duite.

 

Sur la route du retour, du cĆ“tĆ© de la Corogne, une mer rĆ©siduelle assez forte et lā€™absence de vent nous contraignirent Ć  faire une petite escale Ć  Cormes. Dans ce tout petit port, il y avait un bateau de pĆŖche, et un grand catamaran dĆ©mĆ¢tĆ©, retenu au quai par de gros cordages, les coques fortement endommagĆ©es Ć  lā€™avant, et un homme en train dā€™Ć©coper... Il faisait froid, lā€™homme semblait frigorifiĆ©, et je lā€™invite Ć  venir boire une soupe chaude dans mon petit bateau. On se prĆ©sente... Il sā€™agissait de Robin Knox-Johnston (1)... Des rencontres comme Ƨa nā€™arrivent pas tous les jours.

 

Et puis, pour des raisons professionnelles, il nous a fallu prendre la douloureuse dĆ©cision de revendre ce bateau dans des dĆ©lais trĆØs courts. Un acheteur de Carteret est venu Ć  Capbreton, a vu Chrismy II, a signĆ©, et j'ai livrĆ© Chrismy II la mort dans lā€™Ć¢me. Rendez-vous fut donnĆ© au barrage dā€™Arzal, et jā€™ai convoyĆ© Chrismy II par la mer, aidĆ© de deux Ć©quipiĆØres bien sympathiques. Christiane nous attendait avec la voiture Ć  Arzal.

 

En partant, et aprĆØs avoir saluĆ© les nouveaux propriĆ©taires de Chrismy II, nous avons dĆ» faire demi-tour, et revenir dā€™urgence au bateau : jā€™avais oubliĆ© le chĆØque de la vente sur la table Ć  carte...

 

Et je me retrouvais sans bateau, sans rien... et toujours plein de rĆŖves... dont celui de pouvoir, un jour, traverser lā€™Atlantique !

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